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Plus tôt dans la semaine, l’OFCI s’est entretenue avec Mehdi Sahraoui (MS), juriste en Droit public, spécialisé dans les politiques territoriales africaines et membre de l’OFCI.

Intervieweur: Je crois savoir qu’il y a eu un soulèvement populaire en Algérie et dans sa diaspora contre le Président sortant A. Bouteflika. D’après votre compréhension éclairée, que s’est-il passé ?

MS: Effectivement, depuis le 22 février 2019, l’Algérie traverse une nouvelle étape de son histoire. Néanmoins, cet épisode ne peut être appréhendé sans l’analyse globale des mouvements politiques qui animent et ont animé l’Algérie depuis l’indépendance. Après l’annonce du souhait du Président A. Bouteflika, âgé de 82 ans et terriblement réduit par un AVC survenu en 2013, de briguer un cinquième mandat à la Magistrature suprême, le 10 février dernier, les algériens n’ont eu d’autre choix que de se soulever, non pas contre le Président seulement, mais contre une politique de l’absurde qui s’est installée depuis déjà quelques années dans le pays. La diaspora algérienne a aussi brillé par son attachement profond au pays d’origine et l’intérêt qu’elle porte à son avenir, se rassemblant dans de multiples pays, sur divers continent.

Intervieweur: Pourquoi le peuple algérien est-il si mécontent du régime de Bouteflika ? Quelles sont les raisons de ces manifestations ?

MS: La sortie des algériens est avant tout une prise de parole populaire pour l’honneur et la dignité historique qui habitent ce peuple. Ici, la maturité politique de la mobilisation d’une rare constance dans l’histoire est à souligner. Alors que certains bilans notamment en termes économiques et juridiques sont alarmants, les algériens veulent avant tout un changement profond dans la gestion des affaires politiques du pays. Nous savons pertinemment qu’un changement de surface ne répondra pas aux besoins nationaux actuels. Cela doit passer par la création d’un nouveau système politique reposant sur des fondements neufs, plus modernes et en phase avec l’évolution sociale et sociétale de l’Algérie. Le peuple se réapproprie la chose publique et se pose en garant de la stabilité nationale face au « coup de trop » du pouvoir en place. « La République n’est pas une Monarchie » fait partie d’un des premiers slogans du mouvement.

Intervieweur: L’armée algérienne s’est récemment prononcée en faveur du départ du Président. Qu’en pensez-vous ?

MS: La nouvelle était certes inattendue. Je me rappelle avoir pris connaissance avec étonnement de l’annonce buvant un café dans les rues d’Alger centre. Aucune réaction immédiate et hâtive des algérois tant la déclaration était timorée.
Étant juriste en Droit public, je note avec enthousiasme le retour au cadre légal puisque, malgré tout, l’Algérie est un État disposant d’une Constitution (bien que dénaturée et vidée de son esprit par tant de modifications), d’Institutions et d’un fonctionnement politique défini. Néanmoins, le Chef d’État-Major n’est, d’une part, en rien légalement habilité à dégainer l’article 102 de la Constitution, permettant de démettre un Président pour raison de santé, ni à saisir l’instance prévue en l’espèce, le Conseil constitutionnel. De plus, la proposition paraît incongrue et opportune au vu de l’incapacité du Président présente depuis près de 6 ans. Enfin, observateur de la politique algérienne depuis plusieurs années, il s’agit avant tout ici d’une illustration parfaite des rapports de force et des luttes de clans, caractéristique spécifique de la pratique du pouvoir depuis l’indépendance et même peu avant. Considérant le rejet du peuple à l’égard des propositions du clan présidentiel et au vu d’un nouveau Premier Ministre peinant à présenter un Gouvernement (créant un vide constitutionnel et rappelant même les Ministres fraîchement limogés à leurs postes), Ahmed Gaïd Salah, Chef de l’État-Major et Vice-Ministre de la Défense, tente de reprendre la main en invoquant l’article 102. L’armée a tenté d’user une cartouche mais le plan est avorté par le refus du peuple, ce qui vient renforcer le clan présidentiel. Dans la foulée, un Gouvernement dit de transition est proposé dans lequel seulement 7 anciens Ministres conservent leurs sièges contre 27 définitivement limogés. Un partout, balle au centre, la bataille continue au sommet. On joue la montre. Mais le peuple ne se contentera pas d’arbitrer indéfiniment.

Intervieweur: Croyez-vous que ces protestations soient liées au Printemps arabe ? Une répercussion régionale est-elle possible ?

MS: Selon moi, je pense qu’aucun parallèle ne peut être fait avec ces révolutions dites « arabes ». Le peuple algérien et la construction étatique et nationale du pays sont issus d’un processus politique extrêmement particulier par rapport aux voisins dans la région. Néanmoins, l’approche continentale et historique est pour moi à privilégier lorsque l’on parle de répercussion régionale. Les systèmes postcoloniaux africains, d’Alger au Cap, rencontrent des problématiques plus ou moins similaires, particulièrement dans les États auparavant colonisés par la France. Le Cameroun, le Tchad, la Guinée, pour ne citer qu’eux, sont aussi frappés par une paralysie politique et une incapacité de faire évoluer les bases institutionnelles de leurs États. J’espère ainsi que ce mouvement nourrira une grande réflexion africaine sur nos rapports au pouvoir et à la pratique de l’État.

Intervieweur: Enfin, que pensez-vous qu’il va se passer ensuite ? Croyez-vous que le mouvements se dissipera ?

MS: Au vu des annonces quotidiennes et les rebondissements incessants, nous ne pouvons prédire l’avenir. Cependant, une chose est sûre. Le peuple n’est pas aussi endormi qu’on a voulu nous le faire penser lors de ces dernières années. Il est entré dans l’arène de manière noble et fière et vient probablement d’éviter à l’État une catastrophe politique qui se profilait. Nous sommes en train de participer à notre propre processus démocratique et cela doit prendre le temps qu’il faudra pour que nous en sortions tous avec unité et sérénité. Mon esprit juridique m’amène à vouloir faire place au Droit. Convoquer une assemblée composée de femmes et d’hommes de loi, limitée à faire émerger les principes constitutionnels fondamentaux (équilibre des pouvoirs et instruction des Institutions), tous bien-sûr frappés d’inéligibilité. Le peuple, souverain, participerait ensuite à la seconde phase d’élaboration constitutionnelle sur les valeurs du nouveau régime. Malgré nos esprits pragmatiques qui nous appellent parfois aux pensées des derniers traumatismes nationaux endurés à la fin du siècle précédent, je m’efforce de demeurer plein d’espoir en ce Peuple et cette Nation qui ont su nous surprendre chaque fois que leur destin les convoquait et me rendre une nouvelle fois fier d’en être.

On tient à remercier Mehdi pour ce fascinant aperçu de la situation politique en Algérie. Pour vous tenir au courant, vous pouvez le suivre sur Twitter www.twitter.com/MahdiSahraoui_ .

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